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biographie du Père Tasse : article de Le Gaulois littéraire et politique
article du 21 mai 1894 (source gallica.bnf.fr/BnF) signé SILVESTRIS.
UN BUREAU DE TABAC S. V. P. Rencontré, sur le boulevard, le père Tasse, que le prince Alexandre Bibesco a surnommé le « vieux de la montagne ». Un vieillard de soixante-treize ans, taillé dans un chêne, avec une belle figure de patriarche, énergique et calme, une longue et large barbe blanche, pantalon, gilet et veston de bouracan feuille-morte et chapeau mou assorti aux ailes immenses. Propre comme un sou neuf de la tête aux pieds. Tous les passants le regardent et il ne semble pas s'en apercevoir. — Comment, c'est vous, père Tasse ? — Oui, mon bon monsieur. — Et que diable faites-vous ici ? Vous avez l'air d'être sur le boulevard comme chez vous. — C'est pourtant la première fois que je viens à Paris, mon bon monsieur. J'ai perdu ma femme, il y a quelque temps, et quitté mon chalet de Champrousse, et l'envie m'a pris d'aller faire un tour dans mon pays du Mans, que je n'ai pas revu depuis soixante ans. — Soixante ans ? — Je suis parti du Mans en 1834 pour faire mon tour de France, comme ouvrier sabotier. Le hasard m'a conduit à Grenoble en 1845, je m'y suis marié et j’en sors pour la première fois. * * * Les Alpes dauphinoises avaient séduit le sabotier Tasse, — que là-bas tout le monde connaît et appelle le père Tasse, — et il ruminait, dans son esprit de sabotier, plein de sens et de finesse, d'y laisser trace de son passage. Longtemps il rumina et enfin, en 1865, il put mettre son projet à exécution : bâtir un petit chalet en planches mal jointes, adossé à un rocher, au- dessus d'Uriage, à 2,000 mètres d'altitude. J'ai assisté à l’inauguration de ce chalet, il y a vingt-neuf ans, et ce chalet a été le point de départ de toute une révolution dans ces montagnes : leur accessibilité aux touristes, qui n'y trouvaient jusqu'alors ni une botte de paille pour passer la nuit, ni une omelette à se mettre sous la dent, et qui commencent maintenant à déserter pour elles la Suisse et le Tyrol. En abandonnant son chalet de Champrousse, vieux et veuf, et pas plus riche qu'il n'y était entré, le père Tasse a raconté ses souvenirs à un de nos confrères, M. Henri Vincent, mort il y a quelques mois en Amérique, où il était allé visiter l'exposition de Chicago. M. Henri Vincent a rédigé et réuni ces souvenirs en un petit volume intitulé : Les vingt-deux années du père Tasse à Champrousse. Le volume a été tiré à quelques milliers d'exemplaires. Mais il en restait un stock. C'est alors que le père Tasse, voulant revoir son pays du Mans, mit son sac sur son dos et se dirigea vers Paris. Il a mis quatre mois pour venir à Paris, visitant quarante villes, plaçant ses bouquins chez les alpinistes qu'il rencontrait sur sa route. Il en a vendu six cents, dont le prix lui a permis de vivre pendant ces quatre mois, de voir enfin la grand'ville et de pouvoir gagner la cité des poulardes. Il ne lui en reste plus aujourd'hui un seul exemplaire. * * * Les vingt-deux années du père Tasse à Champrousse sont remplies d'anecdotes amusantes. Champrousse n'était habitable que de juin à octobre, et encore, pendant ces quatre mois, y tombait-il souvent de la neige, les nuits y étaient-elles glaciales. Mais quelle vue merveilleuse sur une forêt de pics aux formes les plus pittoresques ! quel ciel d'Italie ! quel air pur ! quel tapis de rhododendrons et de gentianes tout autour de la cabane du père Tasse ! quelle poésie dans cette musique du vent à travers les sapins et dans le son des clochettes des troupeaux ! quelle paix ! quelle solitude ! En novembre 1887, un chasseur avertit le père Tasse, dejà redescendu au pied de Champrousse, dans son village de Séchilienne, où il hivernait alors que les fenêtres de sa cabane étaient défoncées. Quel maraud a pu faire le coup ? Le père Tasse prend à son bras un panier garni de provisions et monte à sa cabane, enfonçant dans la neige jusqu'au genou. Arrivé à quelques mètres, il aperçoit sur le seuil une ourse étendue au soleil, pendant que son ourson gambade tout autour. Les ours de ces montagnes sont de petits ours bruns, la plupart inoffensifs, et que les ménagères chassent à coups de balai, quand ils viennent manger les pommes de leur verger ou le miel des ruches adossées à leur étable. A la vue de ce beau patriarche barbu, l'ourse se relève un peu sur ses pattes de devant, le regarde dédaigneusement et reprend sa pose nonchalante et sa rêverie. Le père Tasse s'assied sur une pierre, se met à déjeuner et attend patiemment qu'enfin l’ourse et son ourson éprouvent le besoin de faire un petit tour. Quand ses deux hôtes ont pris le large : — Au plaisir ! leur dit-il. Et il prend possession de sa cabane. Le père Tasse a la fantaisie de passer l'hiver de 1883-1884, avec sa femme, dans cette cabane. Ils font les provisions nécessaires et se voient bientôt bloqués par les neiges. De temps à autre, leur chien les avertit, par ses hurlements, de l'approche d’un ours ou d'un renard venant flairer le poulailler. Mais bientôt l'eau leur manque, et il leur faut faire fondre de la neige. Le bois lui-même devient rare. Le cyclone tourbillonne autour de la cabane. L’air glacé entre de toute part. Ils ont des étourdissements, des saignements de nez et d’oreilles, et un malaise les envahit, qui leur fait croire à la mort. Savez-vous quelle est, à ce moment, leur préoccupation, préoccupation qu'ils se cachent l'un à l'autre, mais que tous deux lisent sur leur figure ? Mon mari ou ma femme va mourir, et je vais être obligé de traîner son cadavre hors de la cabane, sur la neige, et de l'avoir là, sous mes yeux, jusqu'au retour du printemps ! Mme Tasse avait alors soixante-douze ans, dix ans de plus que son mari. Ils se jurèrent qu'on ne les y reprendrait plus. * * * Depuis 1865, je suis monté trois fois à Champrousse — l’anfractuosité de rocher où est encastrée la cabane du père Tasse s'appelle la Roche-Béranger — et j'y ai lu gravé à la pointe d'un couteau ce petit quatrain : A Roche-Béranger, Chez le bon père Tasse, On est bien mieux logé Qu'au sommet du Parnasse. Nous partions sur des ânes de l'un des villages qui s'étendent, au pied de la montagne de Champrousse, entre Uriage et le château de M. Casimir-Perier (*), à Vizille, à la tombée de la chaleur, de quatre à cinq heures après midi, et nous arrivions, sur les neuf heures, à la cabane du père Tasse. Le chemin est un sentier en zigzags sous les noyers d'abord, sous les chênes ensuite, plus haut sous les sapins, et à quelques centaines de mètres de la cabane, à travers des prairies naturelles tout émaillées de fleurs et où se dressent comme des spectres, des sapins frappés par la foudre, dépouillés de leur écorce et au tronc blanchi. Notre guide faisait de sa main fermée un porte-voix et poussait quelques : hou ! hou ! auxquels répondaient les clochettes des vaches et des moutons surpris dans leur pâturage, et les aboiements du chien du père Tasse, qui arrivait, le poil hérissé, en reconnaissance. Puis, une lumière falotte ne tardait pas à paraître là-haut, à travers les vapeurs blanches s'élevant de la montagne : c'était le père Tasse, avec un lumignon, sur le seuil de sa cabane. Un bon feu pétillant nous attendait. Mme Tasse se mettait au fourneau. Et quelques instants après, nous avions sur notre table du beurre, une omelette, un cuissot de chamois, un poulet sauté, une salade, du fromage à la crème, des fraises, du vin du Graisivaudan, le tout délicieux et rendu plus délicieux encore par l’appétit formidable que nous avait donné notre ascension. La nuit passée dans des cellules borgnes, bien peletonnés dans nos couvertures, et dès la pointe du jour, nous enfourchions de nouveau nos ânes et nous voilà partis pour la croix de Champrousse ou pour le rocher de l’Homme, propriété du général de Chabaud-la-Tour, d’où l’on jouit d’une des plus belles vues qui soient en Europe. * * * Mais aujourd'hui, sans le père Tasse, Champrousse n’est plus Champrousse. Quand le pauvre père Tasse sera revenu du Mans et rentré à Grenoble, que fera-t-il et de quoi vivra-t-il ? Il a écrit au président de la république pour lui demander un bureau de tabac, d'où il puisse encore voir sa chère montagne de Champrousse et qui lui assure le pain de ses vieux jours. - En même temps, me disait-il, j'ai envoyé mon portrait à M. le président, pour que M. le président voie comment je suis fait et à qui il a affaire. SILVESTRIS (*) le château appartint à la famille Casimir-Perier jusqu’en 1895. Il fut acheté par l’Etat en 1924 (note de la rédaction)
Dans cette revue, paraissait le même jour une réclame pour ce livre.
Si le Père Tasse profita de son voyage à Paris pour vendre, sur le chemin, les derniers ouvrages relatant sa vie à Chamrousse, il se montrait déjà intéressé pour écouler son livre, ainsi qu’en témoigne un bref article paru dans la revue hebdomadaire « l’Actualité dauphinoise illustrée » du 13 septembre 1891 dont voici un extrait : « … le Père Tasse ira lui-même et incessamment vendre l’ouvrage à Gap, Embrun et Briançon. » Dans ce journal, daté du même jour, était en outre publiée en dernière page la réclame concernant le livre. Cliquer sur le fac-similé pour l’agrandir.
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biographie du Père Tasse : article Le Gaulois
article du 21 mai 1894 (source gallica.bnf.fr/BnF) signé SILVESTRIS.
UN BUREAU DE TABAC S. V. P. Rencontré,    sur    le    boulevard,    le    père    Tasse,    que    le    prince Alexandre   Bibesco   a   surnommé   le   «   vieux   de   la   montagne   ».   Un vieillard   de   soixante-treize   ans,   taillé   dans   un   chêne,   avec   une   belle figure   de   patriarche,   énergique   et   calme,   une   longue   et   large   barbe blanche,    pantalon,    gilet    et    veston    de    bouracan    feuille-morte    et chapeau   mou   assorti   aux   ailes   immenses.   Propre   comme   un   sou   neuf de   la   tête   aux   pieds.   Tous   les   passants   le   regardent   et   il   ne   semble pas s'en apercevoir. — Comment, c'est vous, père Tasse ? — Oui, mon bon monsieur. —       Et    que    diable    faites-vous    ici    ?    Vous    avez    l'air    d'être    sur    le boulevard comme chez vous. —   C'est   pourtant   la   première   fois   que   je   viens   à   Paris,   mon   bon monsieur.   J'ai   perdu   ma   femme,   il   y   a   quelque   temps,   et   quitté   mon chalet   de   Champrousse,   et   l'envie   m'a   pris   d'aller   faire   un   tour   dans mon pays du Mans, que je n'ai pas revu depuis soixante ans. — Soixante ans ? —   Je   suis   parti   du   Mans   en   1834   pour   faire   mon   tour   de   France, comme   ouvrier   sabotier.   Le   hasard   m'a   conduit   à   Grenoble   en   1845,   je m'y suis marié et j’en sors pour la première fois. * * * Les   Alpes   dauphinoises   avaient   séduit   le   sabotier   Tasse,   —   que là-bas   tout   le   monde   connaît   et   appelle   le   père   Tasse,   —   et   il   ruminait, dans   son   esprit   de   sabotier,   plein   de   sens   et   de   finesse,   d'y   laisser trace   de   son   passage.   Longtemps   il   rumina   et   enfin,   en   1865,   il   put mettre   son   projet   à   exécution   :   bâtir   un   petit   chalet   en   planches   mal jointes,    adossé    à    un    rocher,    au-dessus    d'Uriage,    à    2,000    mètres d'altitude.   J'ai   assisté   à   l’inauguration   de   ce   chalet,   il   y   a   vingt-neuf ans,   et   ce   chalet   a   été   le   point   de   départ   de   toute   une   révolution   dans ces   montagnes   :   leur   accessibilité   aux   touristes,   qui   n'y   trouvaient jusqu'alors   ni   une   botte   de   paille   pour   passer   la   nuit,   ni   une   omelette à   se   mettre   sous   la   dent,   et   qui   commencent   maintenant   à   déserter pour elles la Suisse et le Tyrol. En   abandonnant   son   chalet   de   Champrousse,   vieux   et   veuf,   et pas    plus    riche    qu'il    n'y    était    entré,    le    père    Tasse    a    raconté    ses souvenirs    à    un    de    nos    confrères,    M.    Henri    Vincent,    mort    il    y    a quelques   mois   en   Amérique,   où   il   était   allé   visiter   l'exposition   de Chicago.   M.   Henri   Vincent   a   rédigé   et   réuni   ces   souvenirs   en   un   petit volume     intitulé     :     Les     vingt-deux     années     du     père     Tasse     à Champrousse.   Le   volume   a   été   tiré   à   quelques   milliers   d'exemplaires. Mais il en restait un stock. C'est   alors   que   le   père   Tasse,   voulant   revoir   son   pays   du   Mans, mit   son   sac   sur   son   dos   et   se   dirigea   vers   Paris.   Il   a   mis   quatre   mois pour   venir   à   Paris,   visitant   quarante   villes,   plaçant   ses   bouquins   chez les   alpinistes   qu'il   rencontrait   sur   sa   route.   Il   en   a   vendu   six   cents, dont   le   prix   lui   a   permis   de   vivre   pendant   ces   quatre   mois,   de   voir enfin   la   grand'ville   et   de   pouvoir   gagner   la   cité   des   poulardes.   Il   ne   lui en reste plus aujourd'hui un seul exemplaire. * * * Les    vingt-deux    années    du    père    Tasse    à    Champrousse    sont remplies d'anecdotes amusantes. Champrousse   n'était   habitable   que   de   juin   à   octobre,   et   encore, pendant   ces   quatre   mois,   y   tombait-il   souvent   de   la   neige,   les   nuits   y étaient-elles   glaciales.   Mais   quelle   vue   merveilleuse   sur   une   forêt   de pics   aux   formes   les   plus   pittoresques   !   quel   ciel   d'Italie   !   quel   air   pur   ! quel   tapis   de   rhododendrons   et   de   gentianes   tout   autour   de   la   cabane du   père   Tasse   !   quelle   poésie   dans   cette   musique   du   vent   à   travers les   sapins   et   dans   le   son   des   clochettes   des   troupeaux   !   quelle   paix   ! quelle solitude ! En    novembre    1887,    un    chasseur    avertit    le    père    Tasse,    dejà redescendu     au     pied     de     Champrousse,     dans     son     village     de Séchilienne,   où   il   hivernait   alors   que   les   fenêtres   de   sa   cabane   étaient défoncées.   Quel   maraud   a   pu   faire   le   coup   ?   Le   père   Tasse   prend   à son    bras    un    panier    garni    de    provisions    et    monte    à    sa    cabane, enfonçant   dans   la   neige   jusqu'au   genou.   Arrivé   à   quelques   mètres,   il aperçoit   sur   le   seuil   une   ourse   étendue   au   soleil,   pendant   que   son ourson gambade tout autour. Les   ours   de   ces   montagnes   sont   de   petits   ours   bruns,   la   plupart inoffensifs,   et   que   les   ménagères   chassent   à   coups   de   balai,   quand ils   viennent   manger   les   pommes   de   leur   verger   ou   le   miel   des   ruches adossées   à   leur   étable.   A   la   vue   de   ce   beau   patriarche   barbu,   l'ourse se     relève     un     peu     sur     ses     pattes     de     devant,     le     regarde dédaigneusement   et   reprend   sa   pose   nonchalante   et   sa   rêverie.   Le père    Tasse    s'assied    sur    une    pierre,    se    met    à    déjeuner    et    attend patiemment   qu'enfin   l’ourse   et   son   ourson   éprouvent   le   besoin   de faire un petit tour. Quand ses deux hôtes ont pris le large : — Au plaisir ! leur dit-il. Et il prend possession de sa cabane. Le   père   Tasse   a   la   fantaisie   de   passer   l'hiver   de   1883-1884,   avec sa   femme,   dans   cette   cabane.   Ils   font   les   provisions   nécessaires   et   se voient   bientôt   bloqués   par   les   neiges.   De   temps   à   autre,   leur   chien   les avertit,   par   ses   hurlements,   de   l'approche   d’un   ours   ou   d'un   renard venant   flairer   le   poulailler.   Mais   bientôt   l'eau   leur   manque,   et   il   leur faut    faire    fondre    de    la    neige.    Le    bois    lui-même    devient    rare.    Le cyclone   tourbillonne   autour   de   la   cabane.   L’air   glacé   entre   de   toute part.    Ils    ont    des    étourdissements,    des    saignements    de    nez    et d’oreilles, et un malaise les envahit, qui leur fait croire à la mort. Savez-vous    quelle    est,    à    ce    moment,    leur    préoccupation, préoccupation   qu'ils   se   cachent   l'un   à   l'autre,   mais   que   tous   deux lisent   sur   leur   figure   ?   Mon   mari   ou   ma   femme   va   mourir,   et   je   vais être   obligé   de   traîner   son   cadavre   hors   de   la   cabane,   sur   la   neige,   et de   l'avoir   là,   sous   mes   yeux,   jusqu'au   retour   du   printemps   !   Mme Tasse   avait   alors   soixante-douze   ans,   dix   ans   de   plus   que   son   mari. Ils se jurèrent qu'on ne les y reprendrait plus. * * * Depuis    1865,    je    suis    monté    trois    fois    à    Champrousse    l’anfractuosité   de   rocher   où   est   encastrée   la   cabane   du   père   Tasse s'appelle   la   Roche-Béranger   —   et   j'y   ai   lu   gravé   à   la   pointe   d'un couteau ce petit quatrain : A Roche-Béranger, Chez le bon père Tasse, On est bien mieux logé Qu'au sommet du Parnasse. Nous   partions   sur   des   ânes   de   l'un   des   villages     qui     s'étendent,   au     pied   de   la   montagne   de   Champrousse,   entre   Uriage   et   le   château de   M.   Casimir-Perier   (*),   à   Vizille,   à   la   tombée   de   la   chaleur,   de   quatre à   cinq   heures   après   midi,   et   nous     arrivions,   sur   les   neuf   heures,   à   la cabane   du   père   Tasse.   Le   chemin   est   un   sentier   en   zigzags   sous   les noyers   d'abord,   sous   les   chênes   ensuite,   plus   haut   sous   les   sapins, et   à   quelques   centaines   de   mètres   de   la   cabane,   à   travers   des   prairies naturelles    tout    émaillées    de    fleurs    et    où    se    dressent    comme    des spectres,   des   sapins   frappés   par   la   foudre,   dépouillés   de   leur   écorce et au tronc blanchi. Notre   guide   faisait   de   sa   main   fermée   un   porte-voix   et   poussait quelques    :    hou    !    hou    !    auxquels    répondaient    les    clochettes    des vaches   et   des   moutons   surpris   dans   leur   pâturage,   et   les   aboiements du     chien     du     père     Tasse,     qui     arrivait,     le     poil     hérissé,     en reconnaissance.   Puis,   une   lumière   falotte   ne   tardait   pas   à   paraître   là- haut,   à   travers   les   vapeurs   blanches   s'élevant   de   la   montagne   :   c'était le père Tasse, avec un lumignon, sur le seuil de sa cabane. Un   bon   feu   pétillant   nous   attendait.   Mme   Tasse   se   mettait   au fourneau.   Et   quelques   instants   après,   nous   avions   sur   notre   table   du beurre,   une   omelette,   un   cuissot   de   chamois,   un   poulet   sauté,   une salade,   du   fromage   à   la   crème,   des   fraises,   du   vin   du   Graisivaudan,   le tout   délicieux   et   rendu   plus   délicieux   encore   par   l’appétit   formidable que nous avait donné notre ascension. La   nuit   passée   dans   des   cellules   borgnes,   bien   peletonnés   dans nos    couvertures,    et    dès    la    pointe    du    jour,    nous    enfourchions    de nouveau   nos   ânes   et   nous   voilà   partis   pour   la   croix   de   Champrousse ou   pour   le   rocher   de   l’Homme,   propriété   du   général   de   Chabaud-la- Tour, d’où l’on jouit d’une des plus belles vues qui soient en Europe. * * * Mais   aujourd'hui,   sans   le   père   Tasse,   Champrousse   n’est   plus Champrousse.   Quand   le   pauvre   père   Tasse   sera   revenu   du   Mans   et rentré à Grenoble, que fera-t-il et de quoi vivra-t-il ? Il    a    écrit    au    président    de    la    république    pour    lui    demander    un bureau   de   tabac,   d'où   il   puisse   encore   voir   sa   chère   montagne   de Champrousse et qui lui assure le pain de ses vieux jours. -   En   même   temps,   me   disait-il,   j'ai   envoyé   mon   portrait   à   M.   le président,   pour   que   M.   le   président   voie   comment   je   suis   fait   et   à   qui il a affaire. SILVESTRIS (*)   le   château   appartint   à   la   famille   Casimir-Perier   jusqu’en   1895.   Il   fut   acheté   par   l’Etat en 1924 (note de la rédaction)
Si   le   Père   Tasse   profita   de   son   voyage   à   Paris   pour   vendre,   sur le   chemin,   les   derniers   ouvrages   relatant   sa   vie   à   Chamrousse, il   se   montrait   déjà   intéressé   pour   écouler   son   livre,   ainsi   qu’en témoigne   un   bref   article   paru   dans   la   revue   hebdomadaire   « l’Actualité   dauphinoise   illustrée   »   du   13   septembre   1891   dont voici un extrait : «    …    le    Père    Tasse    ira    lui-même    et    incessamment    vendre l’ouvrage à Gap, Embrun et Briançon. » Dans   ce   journal,   daté   du   même   jour,   était   en   outre   publiée   en dernière   page   la   réclame   concernant   le   livre.   Cliquer   sur   le   fac- similé pour l’agrandir.